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Lambert-Félix PRUDENT, Professeur des universités,
Université des Antilles, France Outre-Mer

LPrudent

 Titre : « Mesures, démesures, demi-mesures, contre-mesures...

Evaluer dans une société créole »  

Quand :  mercredi 13 avril 2022 (10h Guadeloupe)

Résumé : 

L’une des questions qui hantent l’enseignant pratiquant dans les Outremers est celle de la Norme. Ici, l’histoire nous condamne à comprendre que nous sommes dans un pays où règne, plus qu’ailleurs, la relativité en toutes choses et particulièrement en matière de langue. Trois siècles de colonisation et quatre-vingt ans de statut postcolonial ont façonné une société manifestant en mille lieux une certaine ambivalence dans la désignation des objets, d’où une certaine difficulté à prendre l’exacte mesure des choses. 

L’école publique est instaurée aux Antilles à la fin du 19ème siècle mais il lui faudra quelques décennies supplémentaires pour s’installer dans cette géographie périphérique. Depuis que l’exigence de l’égalité citoyenne s’est faite plus forte, les évaluateurs se préoccupent de plus en plus de la mesure du succès ultramarin et, à l’occasion des premiers relevés statistiques, les Autorités s’aperçoivent du décalage entre les attentes et le rendu du système.

Après quarante ans d’exercice dans des Écoles normales, IUFM, Espe et Inspe, je ne me réclame pas d’une quelconque spécialité des sciences de l’éducation. Je suis linguiste, cherchant depuis longtemps à comprendre comment fonctionne une école qui a ignoré durant cent ans le bilinguisme ambiant et la présence de la langue créole. Mon propos sera de juste de vous sensibiliser à la difficulté de mesurer et d’évaluer dans une telle société.

Dans son constant souci d’évaluer, quantitativement et qualitativement, l’école mesure les niveaux des cours et des élèves, elle fournit des progressions, elle établit des normes et des étalons et elle décerne des diplômes. Pourtant lorsqu’arrive l’évaluation d’organismes extérieurs, (test de préparation militaire, entretien d’embauche d’éventuels employeurs, entrée dans à l’université ou à une grande école), on voit resurgir la notion de décalage, de retard, et la problématique du rattrapage. Les pédagogues antillais savent éduquer et former quelques élites qui parviennent à concurrencer les meilleurs élèves des établissements prestigieux. Mais globalement, malgré les 93% de réussite au baccalauréat annoncés triomphalement en fin d’année, nos élèves parlent, lisent, écrivent et calculent moins bien que ceux de la « moyenne nationale ». Alors ?

Pour interroger la nature de l’évaluation, faut-il changer l’instrument de mesure, examiner la langue de l’évaluation ou carrément envisager de changer l’école, pour enfin l’intégrer à son milieu ? 

La problématique abordée ici naît d’un paradoxe évaluatif. Les autorités académiques, la presse et l’opinion publique relèvent un fort taux apparent de succès au baccalauréat et vantent les bons résultats des différentes filières de l’Université des Antilles. Pourtant divers observateurs signalent des performances médiocres des élèves à la sortie de leur parcours scolaire et de nombreux jeunes font le choix d’étudier dans une université ou un organisme professionnel extérieur au pays. Les indicateurs sont évidemment variés, mais selon que l’on s’appesantisse sur des chiffres traditionnels ou qu’on examine des critères plus qualitatifs, on découvre que, aux yeux mêmes des intéressés, l’école locale ne fonctionne pas très bien. Les taux d’illettrisme sont impressionnants, les professeurs entonnent volontiers l’antienne de la « baisse de niveau » et les évaluations des employeurs reprennent à foison le contrôle imparfait du français, l’absence de culture générale et l’insécurité globale des élèves devant les disciplines scientifiques. Divers spécialistes diagnostiquent les causes des faiblesses du système. Ici, c’est l’hypothèse d’une source sociolinguistique des dysfonctionnements du système éducatif qui est examinée. La population est bilingue, la société vit une confrontation sourde de codes culturels non identifiés et l’école, y compris dans sa composante de formation des maîtres, néglige ou ignore ce contexte complexe. Pour mieux voir les choses, il faut revenir aux instruments de mesure des uns et des autres, expliciter le conflit de normes linguistiques, en un mot s’intéresser à l’élucidation d’un enseignement repensé dans son contexte.

 

Notice biographique : 

Lambert Félix Prudent est professeur émérite de sciences du langage à l’Université des Antilles. Il a été directeur de Centre IUFM de Martinique, directeur de l’ESPE Guadeloupe, responsable de l’Unité Mixte de Recherches LCF (Créoles et Francophonie) basée à l’Université de La Réunion et rédacteur en chef de la revue Etudes Créoles. Son champ de recherches embrasse la sociogenèse des langues créoles, l’analyse des pratiques langagières interlectales, et l’aménagement glottopolitique des collectivités en Outremer. Après avoir étudié prioritairement la zone des Caraïbes, il a séjourné douze ans à l’Université de la Réunion pour approfondir les modalités sociolinguistiques propres des Seychelles et des Mascareignes, et esquisser un programme de Pédagogie de la variation en contexte créole, présenté dans de multiples publications. 

 

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